Augmenter l’offre de logements : étude réalisée avec l’Infrastructure Institute (School of Cities)
Les logements se font rares, et leur financement coûte de plus en plus cher, ce qui les rend inaccessibles. Jusqu’à maintenant, la solution à ce dilemme a consisté à construire des logements sur des terrains publics. Esri Canada a récemment travaillé avec l’Infrastructure Institute de la School of Cities de l’Université de Toronto sur une étude visant à générer des scénarios d’aménagements hypothétiques de terrains sous-utilisés appartenant à six grandes entreprises privées exploitant des commerces de détail. Le résultat a été stupéfiant.
La crise du logement au Canada semble devenir encore plus incontrôlable en cette période de reprise post-pandémique. La SCHL a récemment annoncé que 3,5 millions d’unités d’habitation supplémentaires sont nécessaires d’ici 2030 pour rétablir l’accessibilité aux logements. C’est là une entreprise gigantesque irréalisable sans que soit radicalement changée la façon dont les logements sont actuellement fournis.
Face aux problèmes d’approvisionnement et de pénurie de main-d’œuvre, ainsi qu’à l’augmentation du coût du financement, une solution évidente pour garantir l’accessibilité financière a été de construire des logements sur des terrains publics. On peut le constater dans le programme de la Ville de Toronto appelé Housing Now. Cependant, le potentiel de réaménagement des portefeuilles fonciers privés est souvent négligé.
Esri Canada a récemment collaboré avec l’Infrastructure Institute de la School of Cities de l’Université de Toronto dans le cadre d’une étude visant à examiner le potentiel des portefeuilles fonciers privés à Toronto pour créer davantage de logements abordables. L’étude a généré des scénarios d’aménagements hypothétiques de terrains sous-utilisés appartenant à six grandes entreprises privées qui exploitent des commerces de détail. Le résultat a été stupéfiant.
Nous avons parlé de cette étude à Sarah Chan, associée en design urbain à l’Infrastructure Institute, et à Kendra Munn, spécialiste en solutions urbaines, Milieu scolaire et recherche à Esri Canada.
Sarah, je m’inspire de l’introduction de l’étude, Repenser les portefeuilles fonciers commerciaux, et je demande « Pourquoi maintenant? Pourquoi les terrains privés? »
Sarah : Le Canada connaît une crise du logement abordable depuis plus d’une décennie maintenant. Au sortir de la pandémie, il est évident que les villes doivent prendre des mesures proactives pour fournir des logements et d’autres services sociaux essentiels. Beaucoup d’entre elles ont commencé à mettre en œuvre de nouvelles stratégies de logements abordables, mais la plupart se sont limitées aux terrains publics. L’on pense notamment au programme Housing Now de la Ville de Toronto, qui prévoit la livraison de 10 000 logements, dont 3 700 à loyer abordable. Bien que cela soit tout à fait logique, les terres publiques ne suffiront pas à elles seules à fournir tous les logements nécessaires. La liste d’attente des logements sociaux de la Ville de Toronto compte à elle seule environ 80 000 demandes actives.
Une solution évidente consiste à se tourner vers le secteur privé et, en particulier, vers les propriétaires de plusieurs sites de grande envergure. Nombre de ces propriétaires ont déjà commencé à réaménager leurs sites commerciaux sous-utilisés en immeubles à usage mixte, commercial et résidentiel. Les terrains des grands propriétaires fonciers privés recèlent un énorme potentiel en termes de réaménagements visant la création de communautés complètes, avec des logements abordables et les services publics essentiels.
Y a-t-il une conclusion ou un résultat de l’étude qui vous a marqué?
Sarah : Le résultat le plus surprenant pour moi est le nombre de projets de réaménagement que cette étude a généré, d’autant plus que notre équipe a délibérément adopté une approche plus conservatrice. Nous avons limité le nombre de sites réaménageables en appliquant des critères généraux susceptibles d’en éliminer certains, ce qui nous a permis de réduire à 65 les quelque 300 emplacements visés au départ. Nous avons également limité l’utilisation de typologies à forte concentration, les tours à usage mixte étant attribuées uniquement au cœur du centre-ville. Et même, certains des sites, pour lesquels l’étude a généré des scénarios de bâtiments de hauteur moyenne, faisaient déjà l’objet de propositions actives d’aménagement pour des tours beaucoup plus grandes. Par exemple, la propriété adjacente à l’immeuble de hauteur moyenne situé au 656, avenue Eglinton est visée par une proposition d’immeuble en copropriété à usage mixte, haut de 32 étages.
Même avec cette approche conservatrice, il est clair que le potentiel de réaménagement des terrains sous-utilisés est assez important. Les propriétaires privés qui exploitent des commerces de détail à Toronto sont assis sur des mines d’or de réaménagements potentiels, et ils offrent un filon très fertile pour ce qui est des logements abordables et d’autres services publics essentiels.
L’étude a porté sur les terrains appartenant à six grandes organisations commerciales. Comment ces entreprises ont-elles été sélectionnées?
Sarah : Nous voulions démontrer l’énorme potentiel de réaménagements que représentent les propriétaires privés, mais nous avons réalisé que l’étude deviendrait un exercice très laborieux si nous considérions tous les propriétaires privés possédant plusieurs sites de vente au détail. Ainsi, seule une poignée d’entreprises répondant à deux grands critères essentiels ont été sélectionnées, ces critères étant les suivants :
- elles devaient appartenir à des propriétaires de terrains privés destinés à la vente au détail;
- elles devaient exploiter plusieurs sites dans la ville.
L’échantillon de six entreprises issues de l’ensemble des candidates admissibles a été conçu pour être représentatif. Nous voulions montrer que le potentiel de réaménagements, même pour quelques propriétaires privés, était important. Nous pensons qu’une sélection de six autres propriétaires privés répondant aux mêmes critères recèlerait également un énorme potentiel, quoiqu’il y aurait des variations dans l’offre d’unités d’habitation, d’espaces verts, de commodités et de services.
Kendra, d’où viennent les données?
Kendra : Toutes les données ont été obtenues ou dérivées de sources ouvertes, c’est-à-dire librement accessibles au public. Les adresses des sites eux-mêmes ont été collectées à partir des pages web des localisateurs de magasins, et géocodées pour créer une couche de points de tous les emplacements actuels des commerces. Toutes les données relatives à l’aménagement urbain de Toronto, y compris le zonage, les limites de propriétés, les bâtiments existants et les zones d’amélioration de quartier, étaient disponibles sur le site web de données ouvertes de la Ville. De même, nous avons utilisé des couches publiques d’ArcGIS Online portant sur les infrastructures de transport en commun et les plaines inondables, dérivées des données de Metrolinx, de la Commission de transport de Toronto (TTC) et de l’Office de protection de la nature de la Ville et de la région de Toronto.
Comment a-t-on réalisé l’analyse?
Kendra : Après avoir recensé les emplacements de ces six grands détaillants à travers Toronto, nous avons réduit le nombre de sites en éliminant ceux qui ne se prêtaient pas à un réaménagement. Plus précisément, les magasins situés dans une zone inondable, dans un centre commercial linéaire ou qui faisaient déjà l’objet de propositions d’aménagement ont été retirés de la liste des sites candidats. Les emplacements faisant partie de bâtiments existants de moyenne ou grande hauteur ont également été exclus, car ils ne constituent pas des terrains sous-utilisés.
La phase suivante de l’analyse a consisté à définir des paramètres de construction pour les sites restants afin de déterminer la forme des masses de bâtiments qui représenteraient le potentiel de réaménagement d’un site, en fonction d’éléments comme les marges de retrait du zonage, la hauteur maximale, le retrait des étages, ainsi que les plans angulaires. Les masses ont été générées dans le logiciel ArcGIS Urban, qui a permis de visualiser en 3D les aménagements potentiels et de différencier les espaces résidentiels, les aires non résidentielles (commerces, lieux culturels, etc.), les espaces verts et les espaces d’agrément créés. Des paramètres sommaires ont également été configurés pour résumer la superficie créée pour chaque type d’utilisation de l’espace et pour estimer le nombre d’unités résidentielles de 1, 2, 3 et 4 chambres à coucher en fonction des distributions cibles d’unités abordables.
Enfin, nous avons cerné les sites à fort potentiel de réaménagement en évaluant leur adéquation à ce type d’initiative, sur la base de l’indice minimal de surface de plancher (ISF) , ainsi que des dimensions de terrain, de la hauteur maximale autorisée, de la possibilité de prise en charge d’un usage mixte, de la proximité du transport en commun rapide et de l’intégration à une zone d’amélioration de quartier. Les sites considérés comme à fort potentiel répondaient à au moins trois de ces critères.
Comment avez-vous géré le zonage et les règlements dans l’analyse?
Kendra : Les limites de zonage, les superpositions de hauteurs et les superpositions de couvertures étaient disponibles séparément auprès de la Ville de Toronto. Elles ont donc d’abord été réunies pour créer une seule couche de zonage consolidée. Cependant, les informations spécifiques à une zone, telles que les hauteurs maximales, les marges de retrait et les autorisations d’utilisation mixte, n’étaient pas incluses dans l’ensemble de données. Il a donc fallu les extraire manuellement du règlement de zonage et les ajouter aux données. Pour ce qui est de l’aménagement dans ArcGIS Urban en tant que tel, nous avons supposé que tout réaménagement entraînerait le rezonage du site en zone résidentielle et commerciale (RC), de sorte que tous les paramètres d’aménagement respectent les normes et restrictions liées à ce zonage particulier. Les informations sur le zonage actuel étaient néanmoins nécessaires pour repérer les sites à fort potentiel de réaménagement, car les propriétés qui répondent aux critères minimaux de réaménagement idéal ont plus de chances d’être sélectionnées.
L’étude tient-elle compte des contours de bâtiment? Combien d’autres sites potentiels pourraient être réaménagés si l’on tenait compte des aires de stationnement en surface et souterraines?
Sarah : Nous nous préoccupions davantage des parcelles de propriété, leur forme et leur taille, et non des contours de bâtiment. De nombreux sites disposaient d’une vaste aire de stationnement en surface, et c’est là une des caractéristiques qui nous permettaient de déterminer quels étaient les terrains sous-utilisés. Nos règles pour générer des formes de bâtiment étaient limitées à la taille maximale des bâtiments, mais elles tenaient également compte des contraintes physiques de la parcelle, notamment sa profondeur, les marges de retrait minimales et les plans angulaires par rapport à la limite de propriété (afin de respecter certaines des directives de la Ville en matière de design urbain).
Les résultats de l’étude ont conclu que ces sites avaient un potentiel de réaménagement de 7,35 millions de mètres carrés ou de 68 576 unités d’habitation à partir desquels des logements abordables pourraient être créés, sans oublier près de 2 millions de mètres carrés d’espaces verts, d’agrément et communautaires.
Quels sont les facteurs à prendre en compte pour se rapprocher de ces objectifs?
Sarah : Il faut savoir que ces chiffres sont en grande partie fondés sur les pratiques d’aménagement actuelles, ce qui signifie que la majorité des unités générées ne comprennent qu’une ou deux chambres à coucher et que les espaces d’agrément ont été calculés en grande partie sur la base des exigences de zonage. Cependant, il est tout aussi important de proposer divers autres types de logements abordables et de garantir leur proximité immédiate à des services communautaires et sociaux. En d’autres termes, il est plus important de voir à quel point les réaménagements permettent de créer des communautés complètes. Bien que les chiffres démontrent un niveau substantiel de réaménagements, il pourrait être plus intéressant de construire moins d’unités dans l’ensemble, mais avec un pourcentage plus élevé d’unités d’au moins 3 chambres à coucher pour les familles, de typologies intermédiaires manquantes (c’est-à-dire les duplex, quadruplex, maisons en rangée) ou d’appartements situés dans des édifices peu élevés qui favorisent le potentiel piétonnier, l’accessibilité et le tissu social du quartier. D’un autre côté, il pourrait également être justifiable de construire davantage si ce développement supplémentaire génère des revenus qui peuvent être réinvestis dans des bienfaits publics.
Kendra, pouvez-vous nous parler plus en détail de l’affichage et de la visualisation de l’étude?
Kendra : Au-delà des mesures sommaires et des formes de masses générales, nous voulions inclure une présentation qui aiderait les gens à visualiser le potentiel de réaménagement de certains de ces sites et la manière dont ce développement pourrait s’intégrer au mieux dans l’environnement immédiat. Pour ce faire, nous avons sélectionné quatre de nos sites à fort potentiel de réaménagement et avons créé des modèles de bâtiments 3D plus détaillés en utilisant les règles proposées dans CityEngine. Les modèles étaient texturés et comprenaient des éléments architecturaux comme des portes, des fenêtres, des balcons, des auvents et des cabines de machinerie qui conféraient beaucoup de réalisme à l’ensemble. Des règles génératives ont également été utilisées pour créer des conceptions de routes et d’espaces verts, et des modèles d’actifs 3D d’Esri et de sources ouvertes ont été ajoutés au paysage urbain afin d’obtenir encore plus de contexte visuel. Les quatre conceptions de site ont été capturées en images dans notre rapport, et insérées en une scène 3D interactive figurant dans la carte narrative liée au projet.
Quels types d’aides à l’urbanisation pourraient être fournis aux développeurs pour les aider à réimaginer et à réaménager leurs terrains?
Kendra : Les urbanistes et les développeurs ont besoin d’outils complets et interactifs qui leur permettent d’évaluer l’adéquation des sites et de générer et visualiser rapidement le potentiel de réaménagement en fonction des autorisations et des restrictions existantes. Des capacités supplémentaires pour une visualisation améliorée sont idéales, car la couche supplémentaire de contexte peut contribuer à éclairer les décisions de conception. Ces outils devraient permettre aux utilisateurs et aux décideurs de procéder à des évaluations rapides au moyen d’indicateurs sommaires simples et d’analyses spatiales plus complexes. Dans le cas de ce projet, ces capacités de visualisation ont été fournies par trois applications logicielles distinctes qui s’intègrent bien les unes aux autres (ArcGIS Pro, ArcGIS Urban et ArcGIS CityEngine) et qui, combinées, simplifient le processus exploratoire d’aménagement urbain et de conceptualisation du développement.
Existe-t-il des moyens de convaincre les propriétaires privés de s’occuper de la situation du logement à Toronto? Le font-ils maintenant?
Sarah : La Ville de Toronto dispose déjà de programmes et d’outils qui offrent les types d’incitatifs qui intéressent le secteur privé. Certains d’entre eux comprennent des autorisations de développement accélérées, des primes accordées en échange de commodités et de logements abordables, ainsi que des incitatifs financiers qui sont décrits plus en détail dans le rapport. Mais au-delà des incitatifs actuels, il existe d’autres options qui pourraient mieux encourager la construction de logements abordables sur des portefeuilles fonciers privés.
Par exemple, l’accélération des approbations de développement constitue le principal incitatif du programme Concept 2 Keys de la Ville, qui propose un processus d’examen rapide pour les demandes comportant des logements abordables. Il s’agit désormais d’un programme permanent, mais il est possible de repenser les critères qui rendent un projet admissible à la procédure accélérée, notamment pour encourager les propriétaires privés possédant plusieurs sites. Cela pourrait inclure la prise en compte de logements abordables répartis sur plusieurs sites, par exemple.
Sarah, comment l’examen de l’utilisation des terrains privés pourrait-il compléter les programmes déjà en place pour les propriétés publiques?
Sarah : Non seulement l’exploitation de terrains commerciaux privés pourrait augmenter de manière importante le nombre de logements abordables et d’autres espaces communautaires, mais il est possible de le faire plus rapidement et plus largement si les incitatifs politiques appropriés sont en place. À Toronto, l’utilisation de terrains publics pour des logements abordables implique d’abord de suivre un processus visant à reconnaître ces sites publics comme superflus, puis de justifier que les logements abordables constituent le meilleur cas d’utilisation. Cela peut prendre beaucoup de temps et durer plusieurs années. Toutefois, le développement de sites privés, emplacement par emplacement, peut également prendre beaucoup de temps. En repensant les outils politiques en fonction d’incitatifs à réaménager plusieurs sites privés pour en faire des lieux de logements abordables, l’on peut certainement seconder la Ville dans ses efforts en ce domaine.
À propos de l’Infrastructure Institute
L’Infrastructure Institute est un centre de formation, de conseil et de recherche interdisciplinaire de la School of Cities de l’Université de Toronto, qui s’efforce de développer une expertise locale et mondiale en matière d’urbanisme, de prise de décision et de construction liés aux infrastructures.
Apprenez-en plus sur ArcGIS Urban ici.
Ce billet a été écrit en anglais par Desmond Khor et peut être consulté ici.