Entrevue avec John Bishop, toponymiste pour le gouvernement de la Nation Crie
Une carte de référence en langue crie d’Akaamaschii (île Charlton) est présentée dans le calendrier de cartes 2023 d’Esri Canada. C’est la première carte que nous avons reçue en vingt ans de soumissions qui documente les noms de lieux en langue crie. Elle fait partie d’une série de 28 cartes de référence en langue crie qui couvrent la côte est de la baie James et la côte sud-est de la baie d’Hudson, de Moose Factory à Tasiujaq (golfe de Richmond). J’étais curieuse de connaître l’histoire de cette carte et j’ai donc discuté avec son auteur, John Bishop, toponymiste pour le gouvernement de la Nation Crie. Voici notre conversation.
John, pouvez-vous me parler de votre rôle au travail?
Je suis toponymiste pour le gouvernement de la Nation Crie. Cela signifie que je suis responsable de la documentation des noms de lieux en langue crie sur le territoire. Depuis neuf ans, je travaille avec les membres de la communauté pour documenter les noms de lieux en langue crie.
Le gouvernement de la Nation Crie est un gouvernement régional qui regroupe dix communautés cries du nord du Québec − souvent appelées les Cris de la Baie James − ainsi qu’une communauté du côté ontarien. Le mot en langue crie pour les désigner est Eeyou ou Eenou. Collectivement, ces communautés se désignent elles-mêmes, ainsi que leur groupement politique ou leur territoire comme Eeyou Istchee. La taille du territoire est comparable celle d’un grand pays européen, par exemple l’Allemagne.
Pourquoi créer cette série de cartes avec des noms de lieux en langue crie?
Le but premier de ces cartes est de servir aux utilisateurs des terres cries et de s’assurer que l’information est transmise et accessible aux jeunes générations de Cris. Les familles cries peuvent les regarder et s’en servir lorsqu’elles vont ensemble dans une région sauvage. Elles fournissent également aux jeunes des documents en langue crie afin qu’ils aient accès à ces noms et à ces connaissances lorsqu’ils travaillent avec les aînés utilisateurs des terres pour la planification, le traçage, la récolte saisonnière ou toute autre activité.
La Nation Crie a voulu mettre en place ce programme et faire ce genre de travail pour s’assurer que ces noms de lieux continuent d’être utilisés et que les gens dans les communautés y aient accès. Pour les Cris, les noms de lieux sont un important vecteur de connaissances sur la terre − connaissances écologiques, connaissances historiques, et relations avec les gens et la famille. C’est pourquoi nous devons trouver les différents moyens de diffuser ces noms.
Les cartes statiques sont un moyen; par exemple des cartes que les utilisateurs de la terre ont sur papier et qu’ils peuvent emporter dans les camps ou dans le bois pour planifier leurs activités saisonnières. Il existe bien sûr d’autres moyens, comme les cartes numériques et autres outils en ligne. Cette carte en particulier est publiée dans le cadre d’une série que nous avons produite sur les côtes de la baie James et de la baie d’Hudson, jusqu’au golfe de Richmond, au nord de la communauté crie de Whapmagoostui.
Pour les non-autochtones, ce projet de cartographie souligne le fait que ce pays trouve ses origines dans les communautés autochtones, et que ces dernières sont antérieures à l’existence du Canada et du Québec. Il est important d’être conscient que les noms de lieux existent et de les respecter. Beaucoup de cartes officielles sont faites avec des noms français et anglais, et elles sont de plus en plus utilisées dans les communautés autochtones. Je suggère de soutenir les efforts visant à faire reconnaître officiellement les toponymes autochtones par les gouvernements non cris, tant provinciaux que fédéraux.
Quel est le niveau d’effort nécessaire à la création de ces cartes?
C’est un projet assez important. Il faut travailler avec 10 communautés sur plus de 300 lignes de trappage familiales, qui sont les unités de territoire gérées par les Cris eux-mêmes. Nous approchons des 20 000 noms de lieux documentés. La carte d’Akaamaschii est une petite partie de ce projet plus vaste. Nous nous basons sur les connaissances des anciens et des utilisateurs de la terre, que nous interrogeons, pour documenter ces noms de lieux. Nous avons également une base de données dans laquelle tout est entré.
Des collectes de données sur les noms de lieux ont été réalisées dans les années 1970 et 1980, et nous pouvons en tirer parti. Tout a ensuite été validé et corroboré avec les familles.
Quelque chose vous a-t-il surpris ou marqué dans le processus de documentation de ces noms de lieux?
C’est un privilège ici d’avoir encore l’occasion de travailler en étroite collaboration avec les aînés des communautés qui ont grandi toute leur vie sur la terre, une génération qui a précédé les pensionnats et qui a pleinement bénéficié d’une éducation traditionnelle crie dans les bois. Les aînés de cette génération sont pour la plupart monolingues, ont une connaissance absolument incroyable du territoire − d’immenses étendues de territoire − et possèdent une grande intelligence géographique qu’ils ont acquise en se déplaçant physiquement sur cette terre, à pied ou en canoë.
Akaamaschii est la plus grande île du côté est de la baie James. Elle est située dans la partie sud de la baie et est gérée par des familles cries de Waskaganish. Pour cette carte d’Akaamaschii, nous avons travaillé avec Edwin Jolly et Bill Jolly de Waskaganish, qui ont passé leur vie sur cette île et connaissent chaque petit coin, chaque petit lac, et pour qui ces lieux ont une grande importance. Ils peuvent parler longuement de l’île et transmettre la richesse de leurs connaissances et leur immense attachement à la terre. C’est un grand privilège pour moi de travailler avec eux. C’est la partie du travail que j’aime le plus, et je prends très au sérieux la responsabilité de consigner avec précision les noms de lieux et les connaissances connexes.
Y aura-t-il une autre phase à votre projet?
Jusqu’à présent, notre travail a principalement tourné autour de la recherche, des entrevues et de la documentation des noms de lieux. Nous en sommes maintenant à un point où nous devons commencer à réfléchir de plus en plus à ce qu’il faut faire avec les noms de lieux [et] à la manière de les rendre plus accessibles, car cela n’a pas de sens de les laisser simplement dans une géodatabase.
Vous voulez en savoir plus sur la carte Akaamaschii et pouvoir l’agrandir? Visitez la page du Portail du calendrier de cartes de janvier 2023.